Son of the beach…

Ici, le vent s’est remis à souffler, emportant à nouveau avec lui les espoirs d’un été qui ne se résout pas à venir. Quel sujet plus intéressant que le temps qu’il fait ? Hum ? Je n’arrête pas de me le demander…

À croire que les circuits de l’Homonuméricus souffrent des pathologies du sapiens-sapiens qui œuvrait hier encore, dans toute la grossièreté brutale de son involution… Possible. Et sans doute même un peu désespérant pour qui croyait enfin le bonheur à portée de clic, dans la douceureuse tiédeur de la vie en réseau… Une flopée de likes, un monceau de cœurs, une petite crotte avec de gros yeux ronds tournant sur eux- même devraient pourtant suffire à compenser nos états d’âme grise houspillée par les noirceurs du monde, la violence carnassière d’un néolibéralisme insatiable qui, se persuade-t-on, rognera bientôt jusqu’à l’os la chair dure et tannée du dernier imbécile qui croit encore la vie dissimulée sous quelque galet d’une plage grecque abandonnée… Ce son of the beach patenté qui donne l’air de vouloir laisser le monde filer à sa perte sans même s’en émouvoir… À moins que ce ne soit lui qui ait vu juste depuis longtemps… L’un des derniers à savoir que désormais au cœur de ce monde-un, la guerre ne se mène efficacement qu’à la marge, dans les alternatives qui s’inventent avec l’enthousiasme des derniers désirants…

Il y a quelques jours un jeune homme a laissé sa vie sur le bitume crasseux d’un trottoir parisien, non loin des ferrailles boulonnées, tachée d’hydrocarbures de l’un de ces vastes hall de transhumances organiques que le facebookien googlelisé traverse en s’efforçant d’en oublier la triste vulgarité, l’œil rivé sur l’écran hygiènisé de son connecteur réseau mondialisé… Un homme peut avoir l’indécence d’agoniser à seulement dix petits mètres de nous, avec un peu de chance, nous n’apprendrons sa mort que quelques heures plus tard, désaffectée et déréalisée par le filtre surpuissant de ce nouvel antibiotique de l’âme que se révèle être le web…Ce transport d’images figées sans bruit et sans odeur… Comme les morts lointaines qui s’égrainent sur les écrans plats des petites lucarnes blafardes qui trônent au milieu des salons et désormais dans le flux rss de nos navigateurs… Mais que nous pouvons maintenant commenter…

Ce jeune mort dont on brandit l’effigie en annonçant le retour de la Barbarie… Comme si elle s’était tue un seul jour depuis le premier homme… Comme si, depuis, elle avait choisi un camp d’hommes plutôt qu’un autre, elle qui les occupe tous parce qu’elle n’en a d’autre que le sien…

Mais il ne faut pas croire, la révolte et l’indignation grondent… La révolte et l’indignation des fakes…( défèquent ?) déversant bientôt toute la grandiloquence outragée des quelques millions ou milliards de pixels qui composent désormais les corps métamorphes des humanoïdes rizhomiques…On s’insurge à pas cher, pour une poignée d’euros mensuels, quelques heures, quelques jours pour les plus persévérents, avant de retourner à ses messages privés plus ou moins charmeurs, ce jeu de masques aux déhanchés séducteurs, la longue litanie de ces partages culturels évocateurs, variant au fil des cibles mouvantes qui se déplacent sur la Low Line de nos nuits blanches et nos jours creux… Même pas vraiment désespérés, débarrassés d’un catastrophisme outrancier par la verve mièvre et racoleuse de quelques insipides plumitifs ayant épuisé depuis longtemps la jouissance triste d’un consumérisme dé-pensié qui ne lave plus d’aucune médiocrité mais que l’on entretient par habitude, las de courir après des nouveautés qui n’en sont pas… heureusement il reste ce printemps désastreux, et cet été qui se refuse à venir uniformiser les couleurs des êtres et des choses… Une belle et bonne raison de se sentir un-e, dans le grand tout de l’Humanité unifiée par la dépression climatique…en souhaitant tout de même que les perturbations orageuses ne viennent pas briser trop longuement le lien ténu qui nous raccroche au monde… Cette toile d’araignée collante où l’on agite avec force démonstration l’absolue unicité de son je, un peu inquiet tout de même à l’idée que le Big Brother-NSA puisse nous oublier ne fusse que quelques heures…nous renvoyant à l’insupportable solitude de la condition humaine pré-numérique…Celle de cet homme qui savait, lui, à quelques exceptions près, qu’il n’intéressait personne et ne possédait aucun outil pour se donner l’illusion du contraire…Cet homme auquel il ne restait d’autre alternative que de se rendre au café du commerce pour essayer de s’y faire une place qui pallierait quelques heures le grand vide de son existence…

Le temps d’écrire ces quelques lignes, le ciel s’est chargé, réduisant à seulement quelques maigres minutes l’ébahissement de la tourista-meunière qui grouille par ici…
Le doigt brisé il y a trois jours sur le tatami me rappelle à chaque battement de cœur la fragile et précieuse beauté d’habiter un corps vivant, ce besoin irrémédiable de le faire vivre, de naviguer de douceurs en douleurs avec la tension d’un marin effleurant les récifs à entailler sa coque comme on s’écorche la peau… Penser est un acte de la main, écrivait me semble-t-il Heidegger… Penser est un acte charnel, une mise en gage de ce corps affreusement limité dans son déploiement, ce corps-lieu qu’il faut apprivoiser sans cesse… Écrire cul et ventre nus, psalmodiait G. Bataille lors des séances de sa société secrète…Et les effractions# de se penser en actes, déclinées à loisir, au gré des opportunités qui se font jour… Les attendre avec patience, l’œil aux aguets, comme sur le tatami lorsque l’adversaire fait vingt kilos de plus que vous et que l’unique chance de le vaincre réside dans cette toute petite fenêtre de tir qu’il ouvrira, peut- être seulement le temps d’un battement de cil, et qu’il faudra savoir exploiter…Les attendre y compris en marchant pieds nus sur la plage, comme un son of the beach irrémédiablement déterminé à ne rien céder sur son Désir, et ce quel que soit le prix qu’on voudrait lui faire payer pour tant d’arrogance…

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